Depuis la rédaction du précédent bilan de recherche, de nouvelles découvertes
ont profondément modifié l’idée que nous nous faisions de la chronologie
de l’évolution humaine. L’étude de l’imagerie de la Grotte Chauvet,
si remarquablement menée par des chercheurs de diverses disciplines
sous la direction de Jean Clottes, nous a amenés à reculer dans le temps
de façon spectaculaire l’idée de l’existence d’une culture préhistorique
élaborée. Nous n’en sommes, pour notre part, pas étonnés. Nous avons
vu, plus haut, que l’étude de la palette Blanchard, faite par Chantal
Jègues-Wolkiewietz, en montrant l’intérêt porté, vers - 30 000, à deux
mois lunaires "jumeaux", permettait d’envisager l’existence
à cette époque d’un calendrier religieux complexe comportant l’embolisme
d’une treizième lune, calendrier vraisemblablement conçu bien avant.
Des vues nouvelles sur le lointain passé
Quel est, dès lors, si nos vues sont justes, le tableau qui se dessine
et dont les grands traits sont restés inscrits dans la mémoire collective
?
Au cours des millénaires de la dernière glaciation, les groupes humains
qui parcourent l’hémisphère nord au gré des fluctuations climatiques,
chasseurs demi pasteurs, compagnons parasites des cervidés puis des
bovidés qui leur fournissent tout ce qui est nécessaire à leur survie
(lait, chair, peau/vêtement/protection, os/matériau), ont toutes chances
d’appartenir aux groupes que nous appelons Néanderthaliens. On peut
penser, comme nous l’avons suggéré dans la dernière partie de notre
étude, que leur souvenir survit clairement dans la tradition indienne
des très anciens Vanaras (Chasseurs) où s’illustrent les "Grands
Rois Simiesques", Sugriva et Hanuman encore objet, comme on sait,
de la plus grande vénération religieuse. Or l’Inde, en leur attribuant
une culture digne de mémoire, les montre, dans le Ramayana, coopérant
amicalement avec les Hommes modernes représentés par Rama.
Chauvet
Sur l’existence de cette culture vers – 30 000, la grotte Chauvet, par
sa situation géographique, son orientation et son imagerie si particulière,
nous paraît apporter des éléments décisifs (voir R.A. Lombard, "L’imagerie
de Chauvet, un langage sacré qui traverse les temps", déposé au
Conservatoire de la Grotte Chauvet à Pont d’Arc). Fait marquant, elle
nous fait peut-être entrevoir un cérémonial d’harmonisation des cycles
lunaire et solaire comportant un grand rite sacrificiel d’offrande du
cœur de la victime, celui-là même dont le souvenir parviendra jusqu’à
nous intact, à la fois en Inde, à travers le mythe d’Hanuman offrant
son cœur, et en Europe, à travers le mythe de "l’élévation du cœur"
de Dionysos Zagreus, enfant divin sacrifié au temps lointain des "Titans"
: faut-il entendre en Zagreu/Sugriv, le thême Sakr/Chakr, dont l’éventail
sémantique irait du "point de rencontre d’énergies vitales",
"point d’excellence", au "contact avec le divin"
et au "sacrifice" ?
La présence des mêmes images sacrificielles en Amérique, particulièrement
frappante chez les Aztèques, donne à penser que la culture qui a conçu
ce premier calendrier religieux complexe stello-luni-solaire, a pu s’épanouir
lors d’un moment climatique favorable en Europe (Diodore, nous l’avons
vu, parle des régions Atlantiques) vers – 50 000 ans et essaimer par
le détroit de Behring alors guéable quelques milliers d’années après.